Une « Tempête de feu » s'abat sur le Chili….
Le mécanisme européen de Protection Civile est activé.
Le Chili, et plus particulièrement les régions du centre du pays : Bíobío et Maule, a connu les pires feux de forêt de son histoire. A plusieurs titres, on peut qualifier cet épisode d'exceptionnel.
Ce pays de 17 millions d'habitants, qui a pour capitale Santiago, s'étire du Nord au Sud sur près de 4500 kms avec une moyenne de 200 kms de « large », du désert d'Atacama au Cap Horn ; bordé par l'Océan Pacifique à l'Ouest et la cordillère des Andes à l'Est (qui culmine à près de 7000 mètres).
La sécheresse sévit depuis près de 10 ans, cet état de fait est attribué au phénomène climatique « el niño ». L'été 2017 est particulièrement chaud (les mois de Janvier/Février correspondent à nos mois de Juillet/Aout en France), les prévisions de risques de feux sont élevées, et le déficit de précipitations marqué.
A partir du 20 Février,
de nombreux feux sont actifs dans le centre du Chili, près d’une centaine,
plusieurs centaines de milliers d’hectares ont déjà brulés.
Les forêts concernées sont composées d’Eucalyptus et de
Pins Radiata, issues de plantations privées. Les arbres mesurent de 20 à 30
mètres minimum et jusqu’à 50 mètres.
Le 26 Janvier 2017, l’Union Européenne déclenche le
mécanisme européen de protection civile (EUCP) en collaboration avec le
gouvernement chilien et envoie un détachement opérationnel dès le 28, composé
des unités de sécurité civile françaises, espagnoles et portugaises, pour un
total de 180 hommes.
Ces unités sont immédiatement envoyées sur les 2 zones
principalement affectées, sur un feu dénommé « Las Maquinas » (unité
portugaise) et « San Antonio », plus au Sud (unités françaises et
espagnoles).
Le feu de « Las Maquinas » impactera la ville de
« Santa Olga », 4500 habitants, qui sera complètement détruite par le
feu et dont le bilan s’établira à 11 victimes (2 policiers
« carabineros », 4 pompiers forestiers et 5 civils).
Au Chili, la lutte contre les feux de forêts est complexe et
mêle des moyens publics et privés. Les grandes plantations disposent de leurs
propres moyens terrestres et aériens. Les entreprises sont souveraines sur
leurs parcelles. Tandis que les forêts publiques sont défendues par des
pompiers forestiers « brigadistas », les sapeurs-pompiers
« urbains » et les forces armées.
L’organisation de la lutte pour la partie publique, est sous
la responsabilité de la CONAF (Corporacion Nacional Forestal) dépendant du
Ministère de l’Agriculture, tandis que le commandement est assuré par l’ONEMI
(Oficina Nacional de Ministerio de Interior).
A mon arrivée (le 4 février) avec 4 autres « experts » (2 espagnols, 1 portugais et un italien), la situation s'est améliorée, les conditions météo sont redevenues favorables et le travail réalisé par les brigadistas chiliens, les sapeurs-pompiers venus des pays limitrophes et les unités opérationnelles européennes, ont porté leurs fruits.
Au total, ce sont près d'une trentaine de pays qui auront porté assistance au Chili, soit en hommes, soit en matériel ou encore moyens aériens (américains et russes).
Initialement la mission pour laquelle j'ai été sélectionné par le ERCC (Emergency Response Coordination Centre), était de coordonner les moyens internationaux sur zone (près de 700 hommes et femmes au total).
Notre mission est réorientée vers une analyse et des recommandations aux autorités chiliennes sur l'évènement qui a frappé le pays.
En effet, il semble que les feux aient pris une ampleur exceptionnelle les 25 et 26 Janvier, avec 100 000 hectares brulés en 14 heures. En concertation avec le gouvernement chilien et l'ERCC, nous décidons de scinder le groupe en 2 pour aller sur le terrain, constater les dégâts causés, recueillir les témoignages et récupérer les données opérationnelles ou encore météorologiques.
A l'issue du recueil des infos de terrain, nous avons rédigé un projet de rapport pour être présenté au ERCC pour validation avant présentation aux autorités chiliennes.
Il s'avère que dans la nuit du 25 au 26 Janvier, un phénomène jusqu'à présent jamais observé, dans cette ampleur, s'est produit à une échelle continentale.
L'énergie dégagée par les feux brûlant sur plusieurs dizaines de milliers d'hectares (de nombreux feux installés se sont agglomérés) a généré une colonne convective qui a atteint la couche d'inversion thermique. Cette ouverture a provoqué un appel d'air frais du Pacifique et favorisé l'expansion du vent « Puelche » (vent sec et chaud venant de la Cordillère des Andes, 40 °C, 5à 10 % d'humidité relative, à 80 km/h).
La conjonction de ces éléments a provoqué un phénomène dénommé « tempête de feu », une sorte d'embrasement généralisé éclair en milieu ouvert, et à une échelle jamais observée jusqu'alors.
Les vitesses de propagation ont atteint localement 20 à 30 km/h, sur le feu de « Las Maquinas » le vent généré a atteint 120 à 130 km/h. Le flux thermique a été évalué à des valeurs supérieures à 60 000 kW/m.
Au total, les feux ont détruit 600 000 ha de forêt.
Ma mission s’est terminée le 16 Février 2017, avec la remise
d’un rapport aux autorités chiliennes faisant l’analyse du phénomène, complété
par des recommandations concernant la stratégie de lutte contre les feux de
forêt.
Au-delà de l’aspect humain,
cette expérience m’a permis d’appréhender l’organisation d’un système à
l’échelle d’une nation, de valider mes capacités d’adaptation à une équipe internationale,
en langue espagnole et anglaise, de tester mes compétences rédactionnelles dans
ces 2 langues.
Le retour d’expérience dont je dispose à titre personnel
doit pouvoir bénéficier à l’ensemble des sapeurs-pompiers français confrontés
aux feux de forêt, et doit pouvoir être enrichi par d’autres expertises.
Le Commandant Vicente FRANCO, responsable de la UME
Espagnole (Unidad Militar de Emergencias) a déclaré au cours d’une cérémonie de
remerciements organisé par le Ministère des Affaires Etrangères
chilien : « Nous sommes venus aider un pays ami, nous quittons
un pays frère ». C’est aussi ce que je retiendrai de l’accueil, la
gentillesse, la sincérité et la compétence de mes désormais amis chiliens.
J’avais eu l’occasion en mai 2016 de former des officiers
argentins à la doctrine de lutte contre les feux de forêt française. Lorsque
j’ai retrouvé sur le terrain l’un d’entre eux, qui m’explique qu’il a pu mettre
en œuvre nos techniques avec son groupe venu de la Pampa argentine, de l’autre
côté des Andes, c’est une véritable émotion et une grande
satisfaction.
Enfin, et surtout, cette mission m’aura permis de mesurer le
niveau de formation FDF dont nous disposons, nous tous, Sapeurs-Pompiers du
Gard.
Compte rendu/Photos: Cne Laurent Alfonso - Mise en ligne: SDIS 30 audiovisuel